TAS 2015/A/3920
Fédération Royale Marocaine de Football (FRMF) c. Confédération Africaine de Football (CAF)
17 novembre 2015 (dispositif du 2 avril 2015)
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Football; Sanction disciplinaire à l’encontre d’une fédération pour désistement de l’organisation d’un championnat; Notion de décision pouvant faire l’objet d’un appel devant le TAS; Pouvoir d’examen du TAS (de novo); Qualification d’une demande de report de l’organisation d’une compétition en refus; Absence de force majeure (risque sanitaire); Proportionnalité de la sanction sportive; Appréciation des sanctions financières;
Formation
Prof. Luigi Fumagalli (Italie), Président
Me Michele Bernasconi (Suisse)
Me François Klein (France)
Faits
La Fédération Royale Marocaine de Football (ci-après: “FRMF” ou “l’Appelante”) est la fédération nationale responsable de l’organisation du football au Royaume du Maroc. Elle est membre de la Confédération Africaine de Football (ci-après: “CAF”) et de la Fédération Internationale de Football (ci-après: “FIFA”).
La CAF (ci-après: “l’Intimée”) est l’organe faîtier en ce qui concerne l’organisation du football sur le continent africain. Elle est notamment responsable de l’organisation des compétitions continentales et exerce le pouvoir disciplinaire sur ses fédérations membres, en application de ses Statuts et règlements. Elle est l’une des cinq confédérations de la FIFA.
L’appel a été déposé par la FRMF à l’encontre de la décision rendue le 6 février 2015 par le Comité Exécutif de la CAF (ci-après: “le Comité Exécutif”) concernant les “sanctions sportives suite au retrait du Maroc pour l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations Orange 2015” consistant en une suspension de l’équipe nationale A, représentative de la FRMF, de participation aux deux éditions subséquentes de la Coupe d’Afrique des Nations (ci-après: la “CAN”), soit celles de 2017 et 2019, et en une amende réglementaire de USD 1’000’000 (ci-après: “la Première Décision”).
L’appel est également déposé à l’encontre de la décision rendue le même jour par le Comité Exécutif concernant les “sanctions financières suite au retrait du Maroc pour l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations Orange 2015” (ci-après: “la Deuxième Décision”).
En 2010, la FRMF a déposé sa candidature auprès de la CAF pour organiser et accueillir la CAN en 2015.
Le 29 janvier 2011, la CAF a choisi la FRMF pour organiser la CAN 2015 au Maroc.
En mars 2014, face à la propagation de l’épidémie du virus Ebola en Afrique de l’Ouest, le Maroc a mis en place un plan national de veille et de préparation à la riposte contre cette maladie mortelle, conformément aux recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé (ci-après: “OMS”).
Le 8 août 2014, l’OMS a qualifié l’épidémie de la maladie à virus Ebola d’“événement extraordinaire” et d’“urgence de santé publique de portée internationale” constituant un “risque de santé publique pour la communauté internationale”.
En août 2014, au vu de l’évaluation du risque, le Ministère de la Santé du Maroc (ci-après: le “Ministère de la Santé”) et la FRMF ont élaboré un plan de couverture sanitaire dédié à la CAN 2015, incluant une section spécifique concernant le risque Ebola.
Le 8 octobre 2014, le Ministère de la Santé du Maroc a sollicité l’avis du Directeur régional Méditerranée Orientale de l’OMS. Dans sa réponse du 10 octobre 2014, celui-ci a indiqué qu’il revenait au Maroc de décider du maintien ou du report de la date de l’organisation de la CAN 2015 au regard d’une analyse rigoureuse du risque, en prenant en compte les plus récents rapports épidémiologiques sur la maladie.
Le même jour, le Ministère de la Santé du Maroc a pris position et a demandé aux autorités publiques compétentes de reporter l’organisation de tous les rassemblements importants de personnes auxquels participent des pays où le virus est apparu, y compris les manifestations sportives internationales telles que la Coupe d’Afrique des Nations dont l’organisation prévue au Maroc durant les mois de janvier et février 2015.
Dans un communiqué de presse du 11 octobre 2014, le Maroc annonça au public, par la voie d’un communiqué de presse, qu’il souhaitait reporter la CAN 2015.
La CAF fit part au Ministère de la Jeunesse et des Sports du Maroc qu’elle était dans l’impossibilité d’accéder à sa demande et, par conséquent, la CAF confirma le maintien de la CAN 2015.
Le 11 novembre 2014, dans une lettre adressée à la FRMF et au Ministre de la Jeunesse et des Sports du Maroc, le Président de la CAF prit note de la volonté Maroc de maintenir sa demande de report d’un an du tournoi pour des raisons prétendues “sanitaires de la plus haute dangerosité” et de son refus d’organiser la compétition du 17 janvier au 8 février 2015 évoquant un cas de force majeure. La CAF en déduisit que la FRMF renonçait à l’organisation de la compétition aux dates arrêtées, ce qui équivalait donc à un retrait. Par conséquent, le Comité Exécutif confirma que la CAN 2015 n’aurait pas lieu au Maroc et indiqua que l’équipe nationale du Maroc était disqualifiée et ne pourrait prendre part à la CAN 2015.
Le 14 novembre 2014, la CAF confia l’organisation de la CAN 2015 à la Guinée Equatoriale.
Le 6 février 2015, le Comité Exécutif de la CAF tint une réunion à Malabo pour se prononcer sur la décision du Maroc de ne pas organiser la CAN 2015 prévue du 17 janvier 2015 au 8 février 2015. Au terme de cette réunion, il prit deux décisions, l’une portant sur des “sanctions sportives” (la Première Décision) et l’autre sur des “sanctions financières” (la Deuxième Décision):
(i) “Sanctions sportives”. Le Comité Exécutif de la CAF considéra que contrairement à ce que soutenait la FRMF, la force majeure ne pouvait être retenue au bénéfice de cette fédération. Aussi, en application des articles 7.1a, 23.11 et 62 des Statuts de la CAF, de l’article 41 des règlements d’application des Statuts de la CAF, de l’article 92.4 des règlements de la compétition et des termes de l’A.A.O. signé pour la CAN Orange 2015, le Comité Exécutif décida de suspendre l’équipe nationale représentative A de la FRMF de toute participation aux deux prochaines éditions de la CAN, celles de 2017 et de 2019, et d’infliger à cette même fédération une amende règlementaire de 1 million de dollars (USD 1’000’000). Cette Première Décision fut notifiée le même jour à la FRMF, avec une motivation sommaire.
(ii) “Sanctions financières”. Lors de la réunion du 6 février 2015, le Comité Exécutif se prononça également sur les “sanctions financières” à l’encontre de la FRMF. En application de l’article 92.4 des règlements de la CAN, la CAF décida de mettre à la charge de la FRMF la somme de EUR 8’050’000 en réparation de l’ensemble des préjudices matériels subis par la CAF et les parties prenantes du fait du désistement survenu. Par courrier du même jour, la CAF informa la FRMF de la Deuxième Décision. Elle indiqua que le détail de l’ensemble des préjudices matériels subis serait communiqué le plus rapidement possible avec les justificatifs requis.
Le 16 février 2015, la FRMF adressa une déclaration d’appel au Tribunal arbitral du Sport (ci-après: le “TAS”) à l’encontre de ces deux décisions du Comité Exécutif du 6 février 2015.
L’audience se tint le 17 mars 2015.
Considérants
1. La compétence du TAS en ce qui concerne la Première Décision n’est pas contestée par l’Intimée, qui l’a expressément reconnue dans ses écritures ainsi que par la signature de l’ordonnance de procédure. Quant à l’appel contre la Deuxième Décision, la compétence du TAS est contestée par l’Intimée, dès lors qu’elle considère qu’il ne s’agit pas d’une décision au sens stricte du terme, mais d’une simple lettre dans laquelle le Comité exécutif informa la FRMF que la CAF avait décidé de réclamer la réparation du préjudice subi en le chiffrant à EUR 8’050’000, et indiquait par ailleurs que la CAF adresserait ultérieurement à la FRMF le détail des préjudices matériels, accompagné des justificatifs requis. La Formation arbitrale doit donc décider si la Deuxième Décision est bien une décision dont il peut être fait appel, conformément à l’article R47 du Code. A cet égard, la Formation arbitrale peut se référer à la jurisprudence du TAS, dont il confirme les conclusions (cf. 2010/A/2315). Selon la jurisprudence du TAS, ce qui caractérise une décision est une question de fond et non de forme; par ailleurs, l’autorité qui rend la décision doit avoir l’intention d’affecter les droits d’une personne et ces droits doivent effectivement être affectés; enfin, une décision doit être distinguée d’une simple information. Ainsi, une lettre, aux termes de laquelle une sanction financière est infligée par le comité exécutif d’une fédération à l’un de ses membres, constitue une décision susceptible de faire l’objet d’un recours devant le TAS.
2. L’Appelante fait valoir des arguments d’ordre formel quant à la validité des Décisions querellées. A cet égard, la Formation arbitrale a rappelé que de jurisprudence constante, le TAS considère que des vices formels rencontrés devant les instances des fédérations ou organisations sportives peuvent être guéris par le fait que l’appelant a eu la possibilité de faire appel devant le TAS, qui procède à un examen complet du cas tant en fait qu’en droit (Article R57(1) du Code). En effet, en raison du plein pouvoir d’examen conféré aux formations arbitrales du TAS, l’appel au TAS permet de “considérer comme purgés les vices de procédure ayant éventuellement affecté les instances précédentes” (TAS 2004/A/549 par. 31; voir également CAS 2003/O/486 par. 50; CAS 2006/A/1153 par. 53; CAS 2008/A/1594 par. 109; TAS 2008/A/1582 par. 54; TAS 2009/A/1879 par. 71). Cependant, certains vices formels graves ayant entachés la procédure devant les instances juridiques des fédérations sportives ne peuvent être guéris devant le TAS. Ainsi, une grave violation du droit d’être entendu d’une partie pourrait, dans certains cas, mener à l’annulation d’une décision rendue par une fédération sportive, en raison de ce vice formel (CAS 2010/A/2275). De même, une décision rendue par un organe incompétent d’une fédération sportive devrait, en principe, être annulée (cf. CAS 2009/A/1903 para. 194 et seq.). En tout état de cause, la Formation arbitrale considère que l’absence de motivation d’une décision d’une organisation sportive, aspect particulier du droit d’être entendu, fait partie de vices formels entachant une décision qui peuvent être guéris durant la procédure devant le TAS, dès lors que les formations arbitrales du TAS revoient l’ensemble des cas d’espèce en fait et en droit en application de l’article R47 du Code (sur ce point en particulier, voir également la sentence TAS 2014/A/3475, para. 52ss et CAS 2006/A/1175, para. 8). Cet argument formel est par conséquent écarté par la Formation arbitrale. De même, le grief tiré de la violation du principe du contradictoire et des droits de la défense est infondé si la partie soulevant ce grief a eu l’opportunité d’exposer sa position à plusieurs reprises avant qu’une sanction ne soit prononcée à son encontre.
3. L’Appelante conteste le fait qu’elle se serait désistée de l’organisation de la CAN 2015, au motif qu’elle aurait adressé une simple demande de report de la compétition. L’interprétation des lettres de la FRMF du 10 octobre 2014 et du 8 novembre 2014 comme un “désistement” ou un “retrait” au sens de l’article 90 du Règlement d’organisation de la CAN (Ed. 2011) serait constitutive d’une “erreur de fait” entachant la légalité de la décision attaquée. Cependant, la Formation arbitrale soutient à cet égard la position de l’Intimée, qui considère que demander un report (et persister dans cette demande malgré le refus de son partenaire) signifie ne pas organiser la compétition telle que prévue, mais proposer d’organiser l’événement selon des modalités considérablement différentes que celles qui ont été convenues, soit une autre compétition. Ainsi, une demande de report d’une année par une fédération nationale relative à l’organisation d’une compétition continentale constitue un “refus” ou un “désistement” de l’organisation de cette compétition.
4. L’Appelante estime que sa demande de report de l’organisation de la CAN 2015 était due à un cas de “force majeure”. Le facteur principal qui a motivé la demande de report est l’aggravation importante et inquiétante de l’épidémie de la maladie à virus Ebola. L’Appelante considère par ailleurs avoir suivi les recommandations de l’OMS et du Ministère de la Santé. Cependant, la Formation arbitrale considère que l’Appelante n’a pas prouvé un cas de force majeure dans le cas d’espèce, et que, au contraire, la position de l’Intimée à cet égard doit être suivie. Il n’existe pas de définition légale de la force majeure en droit suisse. La jurisprudence suisse retient la force majeure de manière très restrictive. Celle-ci présuppose l’impossibilité de s’exécuter. Des difficultés ne suffisent pas. Ainsi, la condition selon laquelle la prestation -ici l’organisation d’une compétition- ne pouvait absolument pas être fournie par le débiteur en raison d’un risque sanitaire, n’est pas remplie dès lors qu’une autre fédération a été en mesure d’organiser ladite compétition aux dates convenues en prenant les mesures sanitaires adéquates, ce qui démontre qu’une solution était envisageable.
5. La Formation arbitrale considère qu’en se retirant de l’organisation d’une compétition en l’absence de force majeure, l’Appelante a violé son engagement envers la CAF ainsi que le Règlement d’organisation de la CAN (Ed. 2011) sanctionnant un tel comportement fautif et applicable en tant que lex specialis. En règle générale, toute sanction imposée doit être proportionnée à la faute commise. La jurisprudence du TAS souligne que la quotité d’une sanction infligée par une instance disciplinaire dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est octroyé par le règlement applicable ne peut être revue que lorsque la sanction est manifestement et largement disproportionnée (cf. CAS 2012/A/2762, para. 122). Bien que le cas de force majeure ne puisse être retenu, le degré de culpabilité peut être considéré comme léger au regard de l’ensemble assez exceptionnel de circonstances et notamment de craintes sanitaires sérieuses. Tel est le cas lorsque la décision d’une fédération de ne pas organiser une compétition repose sur l’application du principe de précaution pour la sauvegarde de la vie humaine dans un contexte international de grande peur par rapport à une situation épidémiologique certes maîtrisable, mais inquiétante au vu de monde entier. Dans ce contexte, l’imposition ultérieure d’une sanction “sportive” telle que la suspension de l’équipe nationale à participer aux deux éditions subséquentes d’une coupe continentale est disproportionnée notamment en raison du fait que cette équipe a déjà été disqualifiée pour la précédente édition.
6. En plus de la sanction purement disciplinaire traitée ci-dessus, la CAF a imposé à la FRMF “une amende réglementaire de 1 million de dollars (1 000 000 USD”, en application du Règlement d’organisation de la CAN (Ed. 2014). Cependant, la Formation a considéré qu’une amende règlementaire doit être réduite en fonction du montant prévu par le règlement applicable au moment des faits (Ed. 2011). Par ailleurs, la Formation a considéré qu’une sanction financière dont le montant n’est pas justifié doit être annulée.
Décision
L’appel déposé par la Fédération Royale Marocaine de Football contre la décision du 6 février 2015 rendue par le Comité Exécutif de la Confédération Africaine de Football concernant les sanctions financières est admis et l’appel déposé par la Fédération Royale Marocaine de Football contre la décision du 6 février 2015 rendue par le Comité Exécutif de la Confédération Africaine de Football concernant les sanctions sportives est partiellement admis